Hors champs

 

En travaillant, en vue d’une exposition, sur une sélection de mes photos, je me suis rendu à cette évidence : beaucoup de celles qui ont ma préférence représentent des personnages suspendus dans l’attente.

Ils semblent escompter du hors-champ qu'il leur fournisse une réponse à une question muette, celle que pose leur propre regard sur des décors et d’autres êtres que l'on ne voit pas, que l’on devine. Ce hors-champ, ce peut être le photographe lui-même qui se soustrait forcément à toute réponse autre que celle de son acte photographique. C’est aussi les rêves, les pensées sombres ou lumineuses dont ces hommes, ces femmes ou ces enfants semblent habités, où ils semblent s’abîmer, comme frappés d’atonie ou de stupeur.

Une grande part de mon travail photographique est lui-même un travail de hors-champ : celui de mon activité parallèle de réalisateur. Beaucoup de ces photos ont été prises dans le même temps que le tournage de films documentaires, notamment sur l'action d'ONG un peu partout dans le monde. Dans cet entre-deux d’un lieu et d’une séquence à l’autre, hors la mécanique du film où la voix commande avant l’image, il faut soudain couper le son pour seulement voir.

Les photos ne parlent pas, ce sont des supports muets qui appellent, pour s'en pénétrer, le silence. Les sons, les bruits, les voix, les musiques, les rumeurs qu'elles soulèvent en celui qui s'y attarde sont ceux de nos voix intérieures. La photographie fait grandeur de cet intime secret, questionnement infini du mystère de chacun qui est le destin de tous.