Arrêt sur images

Mon travail de réalisateur/photographe m’a donné l’opportunité, ces dernières années, d’arpenter les quatre coins du monde sur leur versant le plus sombre : les grandes maladies qui affectent les populations des pays dits "en développement". Leishmaniose au Brésil, tuberculose en Afrique du Sud, sida au Vietnam, cancer de l'enfant au Honduras, en Tanzanie et au Sénégal, paludisme au Mali, diabète au Kenya et à Zanzibar...  j’ai pu voir se dévider le terrifiant chapelet des maladies chroniques ou infectieuses qui affectent les pays pauvres. J'ai pu suivre les routes du tsunami de décembre 2005 et vérifier, sur des milliers de kilomètres, ses effets dévastateurs entre Madras et Phuket, écouter les enfants des rues de Moscou et de Bucarest raconter leur traque par la milice, lire dans les yeux de refugiés du séisme en Haïti leur détresse immense.

Pourtant, au Bangladesh comme au Bénin, j’ai pu constater aussi les effets positifs du micro-crédit, voir rejouer les enfants cambodgiens dans les camps de réfugiés  de Battambang et assister à des miracles : après deux séances, seulement, de chimiothérapie, un enfant tanzanien atrocement défiguré par le lymphome de Burkitt retrouve son visage et son rire. Quelle meilleure fenêtre que la Santé pour ouvrir sur les réalités économiques et sociales, politiques et culturelles d’un pays ou d'un continent ? Quel meilleur viatique pour rendre compte des espoirs et des détresses, pour toucher du doigt les vrais enjeux ?

On ne ressort évidemment pas indemne de ces allers-retours qui font mesurer le fossé abyssal entre les pays riches et les pays dits « en développement ». On repense à ce petit garçon amputé parce que ses parents ont fait confiance au médecin traditionnel avant de consentir à l’amener au service d’oncologie. En l’occurrence, charité et compassion ne sont pas de mise, parce que celui qui souffre ne demande pas à ce qu’on souffre avec lui.  Il demande qu’on l’aide à trouver la solution à son problème s’il estime que l’on a cette compétence. Au service d’oncologie infantile de l'Institut du Cancer de Dar es Salaam, cinquante enfants et leurs mères s’entassent sur vingt lits disponibles. Mais ce qui saisit, après le premier regard, ce n’est pas la misère, c’est la volonté et la grande compétence de ces médecins et infirmières, sous-équipés en matériel et en médicaments, qui sauvent chaque jour des enfants qu’on dirait condamnés. Il n’y a aucune fatalité, seulement un manque cruel de moyens.

Les films et les photos qu’introduit ce texte reflètent ce paradoxe : nous vivons dans le monde le plus injuste qui soit, où les égoïsmes règnent en maître. Et pourtant, des femmes et des hommes continuent de penser que renoncer à toute solidarité c'est être déjà-mort, de considérer que l'autre n'est qu'un autre soi-même né sous la mauvaise étoile et que chacun, sous la voie lactée, a droit à rêver sa vie et à vivre son rêve.
Arrêt sur image sur le visage de cette adolescente de 16 ans, au dispensaire pour jeunes sidéens de Saïgon qui sait qu’elle va mourir parce qu’elle n’a pas accès à la trithérapie. Elle s’essaie quand même à sourire parce que, dit-elle :"Sinon, ma famille sera encore plus triste". Elle s'appelait Phuong, ce qui veut dire "flamboyant", comme l'arbre éponyme aux fleurs orange et aux branches immenses.